2 mai 2024
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Interview de Nicolas Pujol

À l’occasion de la parution du onzième tome du manga Fate/Apocrypha aux éditions Ototo, nous sommes partis à la rencontre de celui sans qui certaines des adaptations manga des œuvres les plus populaires de TYPE-MOON n’auraient jamais franchi les frontières linguistiques du Japon !

Nous avons ainsi eu la chance de pouvoir interviewer Nicolas Pujol, traducteur des mangas Fate/Zero (Gen Urobuchi, Shinjirō), Fate/stay night [Heaven’s Feel] (TASKOHNA) et Fate/Apocrypha (Yūichirō Higashide, Akira Ishida), pour l’interroger sur son parcours, son métier de traducteur ainsi que sa relation avec les œuvres TYPE-MOON !


Dix-sept ans de traductions en tous genres !

Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter, nous dire ce qui vous a motivé à devenir traducteur et nous raconter votre parcours ?

Nicolas : Nicolas, 45 ans, génération Goldorak et Albator, bercé au berceau par les premiers dessins animés japonais de l’époque, mais aussi fan de bandes dessinées franco-belge, passion qui se poursuivra quelques années plus tard avec l’arrivée des premiers mangas.

Littéraire invétéré et amoureux des langues, premiers pas avec le Japonais en 1re année de DEUG pour la création de la nouvelle filiale de LEA, avant de partir en tant qu’étudiant étranger en Licence à Osaka pendant un an. Le Japonais n’a pas encore le succès qu’il a aujourd’hui, nous sommes deux en Maîtrise, à l’obtention de laquelle je repars directement au Japon, à Tokyo cette fois, pour mes premiers pas dans la vie active en 1999.

Premières années difficiles, pas d’argent, pas de visa, pas de travail stable mais beaucoup d’acharnement pour survivre dans l’enfer nippon. Toujours fan de mangas, je sillonne déjà à l’époque les boutiques de mangas d’occasion pour racheter à 100 yens le volume toutes les séries de mon enfance. Au bout de trois ans, je trouve enfin la stabilité à Mandarake, la plus grosse enseigne japonaise dans le milieu de la revente de produits en relation avec les mangas, et c’est le vrai début de ma carrière.

Quatre ans, dont deux à la tête du département international de l’entreprise, j’ai pu y faire de nombreuses rencontres, dont celle des patrons de Japan Expo, qui travaillaient également dans l’édition à l’époque, et qui m’ont proposé alors de devenir traducteur. Après quelques titres d’essai, je décide de sauter le pas officiellement, je quitte mon travail et deviens traducteur de mangas en free lance.

Traducteur de mangas, puis de jeux vidéo, puis de cartes à jouer devient alors ma principale activité, jusqu’à aujourd’hui encore. Déjà dix-sept ans !

 

Quels ont été vos premiers projets en tant que traducteur ? Avez-vous directement commencé par la traduction de mangas ?

Nicolas : Oui, mes premiers projets professionnels de traduction étaient des mangas pour Taifu Comics. Premier manga traduit en 2005 (Rumble Fish de Gakuto Mikumo et Kanji Kawashita pour Taifu Comics), puis premier jeu vidéo traduit en 2009 (Atelier Rorona: The Alchemist of Arland pour Nippon Ichi Software America). Je n’ai jamais quitté le milieu de la « subculture » depuis.

 

Quelles sont les œuvres qui vous ont le plus marqué et influencé ?

Nicolas : Sans aucune originalité, je répondrais les mangas Hokuto no Ken (Buronson et Tetsuo Hara) et Violence Jack (Gô Nagai). Hokuto no Ken a été la première série achetée à ma venue au Japon lors de ma Licence, et c’est en la lisant un nombre incalculable de fois que j’ai commencé mon « véritable » apprentissage du japonais : japonais ancien, expressions familières, une vraie mine d’or de connaissances introuvables dans les livres scolaires. Violence Jack a quant à lui sans doute été le titre que j’aurais aimé le plus traduire. J’ai failli en avoir l’occasion au détour d’une mission pour D/visual (l’éditeur qui à l’époque détenait les droits à l’étranger des titres de Gô Nagai) mais hélas cela ne s’est pas concrétisé. Deux titres assez proches dans la violence et l’univers qu’ils proposent.

 

Nous avons ouï dire que vous aviez traduit plus de 600 mangas ! Y a-t-il un genre que vous affectionnez plus que les autres ?

Nicolas : Pas du tout ! Je pense avoir eu la chance de traduire absolument tous les genres existants : shônen, shôjo, BL, Hentai, vintage, seinen, 4-coma, du triste, du sérieux, du classique, du déjanté…

Chaque genre a ses particularités, avec ses avantages et ses inconvénients… Les shônens vont généralement utiliser du vocabulaire un peu décalé de la réalité, nécessitant un plus grand effort d’imagination et d’adaptation que les autres, mais seront aussi plus courts… Les Boys Love ne demandent souvent quasiment aucune recherche de vocabulaire via un dictionnaire (ce sont à 95 % des dialogues de la vie de tous les jours) mais requièrent beaucoup d’inventivité pour les onomatopées (rires).

Dans l’absolu, plus un titre est difficile à traduire (vocabulaire complexe, beaucoup de sous-entendus, passages narratifs etc), plus il est intéressant, mais plus cela demande du travail et du temps, et donc plus c’est pénible… Cela dit, je n’ai jamais refusé un seul titre en dix-sept ans.

 

Vous étiez présent dès le lancement d’Ototo en 2012 et avez traduit leurs quatre premiers titres : Welcome to Hotel Williams Child Bird, Dangereuse Attraction, Adekan et Samidare. Vous avez aussi traduit de nombreux mangas phares de l’éditeur, comme Spice & Wolf, la série des Sword Art Online ou encore Fate/Zero. Quelle est l’histoire de votre relation avec la maison d’édition ?

Nicolas : J’ai débuté pour Taifu Comics en 2005. À l’époque, la maison d’édition était encore soudée avec Japan Expo, dont je connaissais les patrons (Jeff Dufour et Thomas Sirdey). Ce sont eux qui m’ont proposé de tenter l’expérience de traducteur. Je travaillais à l’époque pour Mandarake, à la japonaise, c’est-à-dire douze heures par jour sans congés et pour un salaire « minimum ». J’aimais particulièrement ce que je faisais (manager du département international de l’entreprise) mais les conditions de travail étant un tantinet harassantes pour le petit français que j’étais, j’ai pris la décision de sauter le pas et tenter l’aventure en tant que traducteur à son compte. Taifu Comics a ensuite connu des remaniements de direction, Yves Huchez a repris la barre et a continué à faire voguer le navire entre les vagues, en continuant à me faire confiance et à me fournir en titres de façon régulière, encore aujourd’hui après dix-sept ans !

 

Exercez-vous une autre activité à côté de la traduction ?

Nicolas : La traduction est mon activité principale depuis 17 ans, mais j’ai réussi à diversifier les milieux dans lesquels je travaille. J’ai commencé avec les mangas, puis avec les jeux vidéo, et enfin avec les cartes à jouer à et collectionner. J’ai ouvert mon propre bureau de localisation de jeux vidéo il y a de cela quatre ans : HSN LOCA (hsn-loca.com).

Avant de me lancer dans la traduction, j’ai créé un site d’achats de produits japonais sur le net (nicofromtokyo.com) comme il en existe aujourd’hui beaucoup, même si j’ai eu la chance de faire partie des pionniers du genre en 2000, là où personne en France ne connaissait encore les enchères de Yahoo.

Je travaille également en tant que « talento » pour la télévision japonaise : digne et fier représentant de la France dans des émissions de variété, je passe régulièrement dans des talk-shows pour présenter, faire découvrir ou re-découvrir la France à la population japonaise toujours avide de clichés sur l’hexagone.

Et en dehors du travail, quels sont vos passe-temps favoris ?

Nicolas : Joueur de Magic the Gathering depuis plus de vingt-cinq ans, je continue toujours aujourd’hui à participer à des tournois et à en organiser également à Tokyo.

Heavy gamer également, principalement en salles d’arcade, je joue beaucoup trop à Tetris: The Grand Master et à Super Street Fighter II X, toujours en tournoi !


Se connaître et s’organiser en conséquence est la clé de voûte du métier

En tant que traducteur, à quoi ressemble l’une de vos “journées-type” ?

Nicolas : Cela dépend grandement du nombre de traductions sur lesquelles je travaille en même temps. Mes journées ne vont pas du tout être les mêmes quand je dois rendre en un mois quatre mangas, un jeu vidéo et une expansion de cartes à jouer, contre seulement trois mangas.

La traduction d’un seul manga n’est pas excessivement gourmande en temps, celle d’un jeu vidéo et de cartes, si, mais grosse surprise, tout est question d’organisation. Le plus important dans le métier est de connaître parfaitement sa vitesse de travail, ce qui permettra de répartir convenablement ses différentes tâches sur la journée, la semaine ou plusieurs mois.

Le critère le plus important sur lequel se base une traduction est le nombre de caractères japonais à traduire. C’est l’unité de mesure de base. Je dirais qu’un manga doit faire en moyenne entre 15 000 et 25 000 caractères. Si l’on connaît sa vitesse de traduction, il suffit de faire le calcul pour organiser ses journées par rapport à la date de rendu. Libre au traducteur de faire une journée de 15 heures de travail et de prendre ensuite quatre jours de repos, ou de faire trois heures par jour sur cinq jours.

Dans mon cas, et pour la traduction d’un manga, je traduis environ 50-60 pages (entre 2-3 heures de travail) par jour pendant trois jours. Je laisse ensuite généralement reposer la traduction (suivant la date de rendu, ça peut être des jours, des semaines, des mois) pour ensuite effectuer une relecture intensive, case par case, vérification du vocabulaire, du sens, des contresens. C’est sans doute l’étape la plus éprouvante, celle qui demande le plus de concentration. Je peux l’étaler sur plusieurs jours pour éviter à mon cerveau de lâcher prise en cours de route. Enfin, deux dernières relectures : une basée sur la fluidité et la compréhension globale du manga, et une dernière pour chasser les coquilles.

En théorie, il est possible de traduire un volume en deux jours, mais cela fait bien longtemps que j’ai arrêté de m’acharner trop longtemps sur un même titre dans une même journée, mon cerveau commençant généralement à fondre au bout de six heures de traduction.

Travailler en même temps sur un jeu vidéo ou autre implique de procéder au même processus de travail simultanément. Je peux donc passer d’une journée de 3-4 heures pour un manga, à 9 ou 10 heures quand plusieurs projets se chevauchent. Le tout non-stop, jusqu’au rendu des projets. Cela peut durer des semaines, voire des mois. Je sors tout juste d’une période de quasiment un an sans trois jours d’affilée de repos…

 

Comment a évolué votre méthode de travail depuis vos premières traductions ?

Nicolas : Je travaille plus vite et plus efficacement (heureusement, au bout de 17 ans 😀). Je faisais à mes débuts beaucoup trop de relectures ; je donne aujourd’hui à chacune un rôle bien précis (cf. au-dessus) afin d’optimiser chaque minute.

Nous avons la chance d’avoir à disposition de nombreux outils gratuits et formidables à notre époque, que ce soit pour les dictionnaires ou l’accès à n’importe quel type d’informations sur le net, et je suis vraiment heureux de ne pas avoir eu a faire ce métier a l’époque des dictionnaires en papier.

 

En moyenne, combien de temps vous faut-il pour traduire un volume entier ?

Nicolas : Tout va dépendre du nombre de caractères, ainsi que du nombre de pages et du contenu bien sûr. Mon rythme de croisière est d’environ 10 000 caractères par jour ; à plein temps, je dirais donc trois jours pleins pour un manga. À un rythme plus modéré, une semaine en moyenne. Lorsque je n’ai pas de jeux vidéo ou d’autres traductions à faire en même temps, je tourne généralement à un rythme de six mangas traduits par mois, ne prenant jamais deux jours le week-end.

 

Que se passe-t-il une fois la traduction d’un volume complétée ?

Nicolas : Je l’envoie à ma maison d’édition !

 

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez le plus souvent lorsque vous traduisez ?

Nicolas : Dans les problèmes liés au manga en lui-même, ce sont très souvent les lectures de certains noms ou prénoms, pas toujours fixées par l’auteur ou l’auteure, et qui peuvent varier d’un tome à l’autre. Cela m’est déjà arrivé de contacter directement le ou la manga-ka via les réseaux pour demander la confirmation d’une lecture ou d’une adaptation d’un prénom ou d’un nom, voire de faire des propositions directement !

Les noms propres en katakana (syllabaire japonais) sont parfois un véritable casse-tête à adapter, et on n’en découvre souvent l’écriture « officielle » que trop tard. Un exemple type : le mot japonais « ローラン » se prononce « Rôran », mais pourrait s’écrire Laurent, Roland, Laulan ou Roman, etc. Bref, sans indice ou confirmation, il est risqué de faire des choix.

Dans les problèmes liés au français, tellement d’adjectifs ou de métiers n’existent pas au féminin, c’en est parfois insupportable !

J’apprécie assez le challenge de la traduction des jeux de mots, ça reste un exercice compliqué mais généralement satisfaisant et gratifiant !

 

Vous avez aussi traduit plusieurs jeux vidéos, dont Disgaea 4 & 5 et Danganronpa V3: Killing Harmony. En quoi la traduction d’un jeu vidéo se distingue-t-elle de celle d’un manga ?

Nicolas : Tout comme la traduction de sous-titrages de dessins animés est un métier totalement à part, les traductions de jeux vidéo et de mangas sont deux choses totalement distinctes. Pour faire simple : la plus grosse différence se situe dans le volume de travail, et traduire un manga restera toujours beaucoup simple, rapide et agréable qu’un jeu vidéo.

Là où il est possible de lire à l’avance les mangas, de bénéficier d’un accès visuel permanent et d’une liberté relative dans la longueur de ses traductions, les conditions de travail pour traduire un jeu vidéo sont quasiment toujours inconfortables : uniquement des fichiers Excel, aucun visuel, aucun contexte.

Là où un manga fait généralement 20 000 caractères, un jeu vidéo part de généralement 200 000 caractères pour aller jusqu’à plusieurs millions, impliquant la création d’une équipe de traducteurs et des mois de travail à plein temps.

Enfin, la différence la plus contraignante se situe dans la limite de lettres par ligne. Il est impératif de traduire dans une limite de lettres bien précise pour ne pas déborder du cadre des dialogues à l’écran, et c’est un vrai challenge de faire tenir certaines phrases dans un espace aussi restreint. Je dois souvent retraduire une phrase en entier pour une lettre qui dépasse, et sacrifier des figures de style pour respecter la limite. Très frustrant. Mais quelle libération quand on retrouve ses mangas et Word !

 

Sur quelles traductions avez-vous pris le plus de plaisir à travailler ?

Nicolas : Question intéressante, car c’est Fate ! J’ai traduit plus de 600 mangas jusqu’à aujourd’hui, et le titre m’ayant laissé le meilleur souvenir est Fate/Zero, celui-là même qui m’a fait rentrer dans l’univers de Fate. C’était sans aucun doute le titre qui m’a demandé le plus de travail en amont, ne connaissant pas du tout à l’époque l’univers de Fate. Ce travail (non rémunéré) est généralement une plaie à effectuer, mais j’ai adoré découvrir l’histoire des personnages étalée sur plusieurs générations.

D’un point de vue technique, j’ai un petit faible pour le japonais médiéval utilisé par les samouraïs, généralement parlé par les personnages de mangas un tant soit peu désuets. J’aime également beaucoup écrire en langage soutenu, style « pompeux », pas militaire mais presque, ce que m’ont permis de faire des personnages comme Alexandre le Grand ou bien sûr Gilgamesh.

Je pense que de nombreux traducteurs me rejoindront sur ce point, mais en règle générale, plus la traduction est « facile » (conversations de la vie de tous les jours en langage contemporain), sans véritable challenge ni nécessité de triturage de cerveau et plus elle est rébarbative.

En revanche, devoir inventer depuis zéro tout le glossaire d’un monde à part, je ne suis pas fan, et je me sens largement plus à l’aise dans la traduction d’un manga vintage d’Osamu Tezuka par exemple.

Enfin, j’ai retrouvé ma dose de « déjantement » avec la traduction du jeu vidéo Disgaea 7 (T-RPG que je traduis depuis le 4 et dont le dernier opus sort à la rentrée en France), essentiellement basée sur des jeux de mots et des références obscures du monde du jeu vidéo, des mangas et des dessins animés. Un gros travail d’interprétation et de recherches, mais tellement satisfaisant quand il débouche sur des perles !

 

Que pensez-vous de la place accordée aux traducteurs dans le domaine français de l’édition ? Considérez-vous qu’il y a un manque de reconnaissance du métier ?

Nicolas : Autant j’aurais répondu oui il y a cinq ans, autant ces dernières années le métier de traducteur est de plus en plus mis en avant. Je pense à l’apparition du Prix Konishi de la traduction de manga japonais en français (konishimanga.fr) en particulier, ainsi qu’aux nombreuses mises en lumière et prises de paroles des traducteurs sur les réseaux sociaux. On trouve beaucoup d’articles sur le sujet aujourd’hui, et la traduction n’est plus une banale étape confiée à un stagiaire ayant passé trois mois à Tokyo, mais bien à une personne ayant les connaissances linguistiques nécessaires, autant du côté japonais que français.

 

Pensez-vous que les traducteurs sont des sortes de “co-auteurs” ?

Nicolas : Un grand oui ! Chaque traduction sera différente suivant les sensibilités du traducteur vis-à-vis du titre, mais aussi suivant son âge, ses lectures françaises passées, ses connaissances de la culture japonaise, ses tics de langage, ses références télé et humoristiques, etc. La capacité à prendre certains choix d’adaptation, sur les vouvoiements et les tutoiements, ou bien imaginer tout un vocabulaire, sont des critères très importants, qui feront la différence entre un traducteur humain de Google Translate.

 

Que pensez-vous des logiciels de traduction automatique ? Pensez-vous qu’ils puissent menacer les domaines de la traduction et de l’édition ?

Nicolas : J’en pense du bien ! Ce sont des nouveaux outils qui permettent de peaufiner le travail de façon plus rapide et plus efficace, là où on aurait pu passer à côté d’idées ou d’expressions plus intéressantes. Je n’hésite pas à les utiliser en parallèle avec le dictionnaire des synonymes.

Je ne pense pas qu’ils puissent menacer le métier de traducteur littéraire (à court terme tout du moins). Peut-être qu’un jour des éditeurs tenteront d’imprimer des mangas uniquement traduits par des IA pour faire des économies, mais je suis sûr qu’ils se feront brûler en place publique à la première erreur de traduction et qu’au final, on restera sur des traducteurs au phrasé moins robotisé et plus humain.

 

Selon vous, qu’est-ce qui fait une “bonne traduction” ?

Nicolas : Une bonne traduction du japonais au français est pour moi un texte suffisamment adapté en français pour que l’on ne parvienne plus à retrouver la phrase originale en japonais. Une adaptation lyrique du sens sera toujours plus agréable et fluide à lire qu’une traduction littérale. J’ai toujours un peu de mal à lire des traductions dont on devine la phrase en japonais.

 

Quels conseils donneriez-vous aux personnes souhaitant se lancer dans la traduction ?

Nicolas : J’ai la chance et le privilège aujourd’hui d’arriver à vivre uniquement de la traduction, mais c’est un processus très long à mettre en place, plus de dix ans pour moi. Il faut tout d’abord trouver un éditeur pour débuter dans le milieu, puis faire ses preuves afin d’augmenter petit à petit sa production, ne jamais refuser de projets, provoquer de nouvelles opportunités de travail qui conduiront peut-être sur de nouveaux contrats quelques mois, voire quelques années plus tard, tout en assumant le fait qu’il n’est pas possible d’anticiper la somme de travail que l’on aura dans six mois. La liberté conférée par le statut de free-lance est contrebalancée par l’instabilité financière des débuts.

L’organisation est également primordiale. Pour cela, bien connaître ses capacités et ses limites, afin de n’accepter que des projets réalisables, et pouvoir impérativement les rendre dans les temps impartis.

Pour ceux qui veulent tenter l’aventure, la meilleure des choses à faire est de commencer avec un autre travail à côté, et de voir comment les choses évoluent avec le temps. C’est a priori un conseil général pour toutes les personnes voulant devenir free-lance : diversifier un maximum ses activités et ne jamais devenir dépendant d’une seule source de revenus. La liberté a des avantages lorsqu’on n’a pas de famille à charge et que l’on est jeune, à condition qu’elle débouche sur une situation un minimum stable et intéressante financièrement parlant, surtout la quarantaine passée. Donc, toujours rester à l’affût de nouvelles rencontres et de nouvelles opportunités !


La rencontre fatidique avec l’univers des Fate/series

À quand remonte votre première rencontre avec les œuvres Fate ? Qu’est-ce qui vous attire le plus chez ces dernières ?

Nicolas : C’était il y a dix ans, en 2013, lorsque Euphor (société mère des éditions Ototo) m’a proposé pour la première fois de traduire le titre Fate/Zero. Je connaissais de nom la licence Fate/stay night, très connue au Japon, mais ne m’étais jamais plongé dedans. J’ai donc dû effectuer un important travail de recherche en amont pour parvenir à comprendre l’univers de la série et surtout assimiler le vocabulaire spécifique à Fate, ce qui a été, bizarrement, une étape très intéressante et moins fastidieuse qu’escompté, le manga étant destiné à un public pour adulte de par sa violence et ses nombreuses références historiques.

 

Vous êtes-vous intéressé à d’autres œuvres TYPE-MOON, comme Kara no Kyoukai, Tsukihime ou Mahoutsukai no Yoru ?

Nicolas : Absolument pas !

 

Comment a été prise la décision d’éditer ces trois mangas Fate (Zero, Apocrypha et Heaven’s Feel) en France ? Aviez-vous demandé à les traduire ou vous a-t-on contacté pour le faire ?

Nicolas : Comme tous les mangas en France, c’est la maison d’édition qui choisit les titres de son catalogue (dans mon cas au moins), et j’accepte avec humilité le travail que l’on veut bien m’offrir 🙂. Je n’ai pas de principes qui m’interdiraient de toucher à telle ou telle œuvre, et n’ai pour le moment jamais refusé un seul titre en plus de quinze ans. La série Fate m’est donc tombée sur le bureau sans prévenir. Une rencontre « destinée » sûrement.

 

Qu’est-ce qui vous attire dans chacun des mangas Fate que vous traduisez ?

Nicolas : Mon rapport avec les œuvres Fate est assez différent suivant le manga.

J’ai une préférence absolue pour Fate/Zero, le plus adulte, le plus sombre, le plus gore et le plus fini d’après moi. Uniquement des personnages torturés avec des vies ou des fins tragiques, de l’action, des références historiques, un character design violent, une histoire originale.

 

Fate/stay night [Heaven’s Feel] est accès sur un public plus jeune, et je pense qu’il faut être un minimum habitué aux stéréotypes japonais entre filles et garçons (Sakura soumise absolue aux ordres de son senpaï) ainsi que sur le sexe, dont les scènes sont assez représentatives de ce qu’on trouve souvent dans les mangas japonais en général. Des dialogues un peu plus à l’eau de rose, des personnages un peu moins complexes.

 

Fate/Apocrypha reste très intéressant, de par les relations passées entre les Servants et les nombreuses références historiques présentes. Pour l’anecdote, les pages de références présentes dans Apocrypha sont une horreur absolue à traduire. Six pages qui demandent autant de temps que les cent cinquante restantes…

 

Je n’ai pas eu l’occasion de travailler sur les Fate/Grand Order, qui sont un gros succès ici au Japon, mais qui semblent partir dans une direction opposée à Zero, bien plus proche de la demande d’un lectorat un peu plus jeune. J’ai adoré tous les dessins animés en revanche, que ce soit celui de Zero, Apocrypha ou tous ceux de Fate/stay Night.

 

L’univers de TYPE-MOON foisonne de concepts aux noms et fonctionnements souvent difficiles à retranscrire en français. Comment vous y prenez-vous pour traduire ces derniers ? Quels sont les termes qui vous ont donné le plus de fil à retordre ?

Nicolas : Pour le choix des termes, j’ai de suite utilisé du matériel fourni par ma maison d’édition à l’époque. J’ai d’ailleurs été bluffé par le travail en amont fait par les fans, et utiliser ces encyclopédies m’a été d’une aide cruciale. Le lien dont je me suis inspiré le plus était le suivant : wiki.typemoon.fr/?Glossaire. Site qui n’existe plus malheureusement aujourd’hui… J’ai essayé d’en retrouver le contenu, mais je n’y suis jamais arrivé. C’était un site couleur rose pâle, blanc ocre, bourré de renseignements sur TOUTES les séries existantes à l’époque. Si jamais quelqu’un sait où sont passées toutes ces informations, je prends !

Je me suis également beaucoup basé sur le Fandom français de TYPE-MOON dont le contenu est bien moins détaillé et fourni, mais qui reste quand même aujourd’hui une référence.

 

Quels sont le ou les personnages les plus complexes à retranscrire en français ?

Nicolas : Pas de difficulté particulière pour un personnage plutôt qu’un autre.

 

Auriez-vous une anecdote relative à la traduction des mangas Fate à nous partager ?

Nicolas : Il est assez intéressant de constater que la licence a beaucoup plus de succès au Japon qu’en France. Lorsqu’on me demande ce que je traduis, en général je cite souvent Fate à des Japonais, pour qui ça va automatiquement parler, mais rarement à des Français. Le titre reste une niche dans le paysage otaku je dirais, et c’est bien dommage.

 

Nous parlions un peu plus haut de la traduction de jeux vidéo. Aimeriez-vous traduire un jeu TYPE-MOON ? Fate/Samurai Remnant devrait justement sortir cette année.

Nicolas : Oui, complètement, j’aimerais en fait traduire le visual novel d’origine de la série Fate/stay night, celui à la base de tout l’univers Fate ! C’est un genre que je traduis depuis des années, sans oublier le fait que j’ai derrière moi des tonnes et des tonnes de titres érotiques et BL. La boucle serait bouclée !

 

Sinon, aimeriez-vous traduire d’autres mangas TYPE-MOON ? Fate/type Redline (Keikenchi et Ryōji Hirano) semble être particulièrement populaire auprès de la communauté française.

Nicolas : Très bon choix ! Autant la série Fate/Grand Order ne me séduit pas vraiment, autant type Redline est sur la Wish List, et j’attends que la demande fasse son apparition dans ma boîte aux lettres.


Et pour conclure, quel est votre personnage TYPE-MOON favori ?

Nicolas : Kirei Kotomine, dans Fate/Zero. Un anti-héros sombre, impassible, cruel et torturé, possédant des aptitudes au combat exceptionnelles malgré son statut de prêtre. J’avoue être un peu déçu de son rôle dans Heaven’s Feel, je resterai donc sur Zero, la référence dans la série.

 

Merci beaucoup Nicolas pour avoir pris le temps de répondre à nos questions !

(Interview réalisée le 11 juin 2023)


Vous pouvez retrouver Nicolas Pujol sur son compte Twitter : @nicofromtokyo. Si ce n’est pas déjà fait, nous vous invitons évidemment à découvrir les différentes licences Fate déjà éditées chez Ototo. Cliquez sur les couvertures ci-dessous pour retrouver la collection complète du manga Fate/Zero ou les derniers volumes des mangas Fate/stay night [Heaven’s Feel] et Fate/Apocrypha sur le site Pointmanga (pointmanga.com) !

Furanken

Ancêtre surveillant les différentes Guerres du Graal ayant lieu sur le serveur Discord TYPE-MOON FR.

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